Lyautey et son ouverture sur le monde

Lyautey, citoyen du monde

Extraits du discours prononcé par François Piétri, Ministre du budget, au banquet de clôture, en novembre 1931, de l’Exposition Coloniale Internationale.

Je ne puis manquer d’évoquer, Monsieur le Maréchal, avec quelque émotion, ces journées du printemps de 1930 où, Ministre des Colonies moi-même, je parcourais à vos côtés, l’énorme et bourdonnante ruche qui constituait alors l’exposition naissante.

Vous m’y conduisiez de place en place, à cette allure rapide que vous êtes seul à pouvoir supporter sans fatigue, la carte à la main, martelant d’ordres brefs, de critiques décisives, votre laborieuse randonnée, et l’on sentait déjà l’œuvre colossale se formant sous chacun de vos pas, surgir majestueusement et vivante, parmi les arbres de Vincennes.

Monsieur le Maréchal, vous savez qui vous avez devant vous, car votre mémoire est aussi riche que votre cœur ! J’étais alors, je suis toujours, celui qui, pendant sept ans entiers, vous suivit, de la même manière, au même rythme, avec la même et obéissante admiration, à travers l’immense chantier devenu, depuis, le Maroc nouveau, cette autre merveilleuse entreprise de votre génie colonial…

À cet égard. Monsieur le Maréchal, et pour typiquement françaises que demeurent votre œuvre et votre personne, 

Vous êtes, à la vérité, CITOYEN DU MONDE, et votre figure en vient presque à échapper au pays qui est le vôtre pour s’identifier avec le grand apostolat intercolonial, avec cette loi bienfaisante de l’homme qui groupe, pour la libération véritable des peuples, et non plus leur servitude, l’effort de toutes les nations qui ont apporté à la nôtre, et à vous-même, leur concours et leur amitié…

Monsieur le Maréchal, pardonnez-moi une fois de plus, l’obsession des souvenirs d’Afrique. Pendant la guerre, pour mieux tenir le Maroc, que vous aviez héroïquement dégarni de ses troupes au profit des fonds d’Europe, vous avez eu l’audacieuse idée de multiplier les foires, les conférences, les manifestations économiques de tout ordre. Vous avez détourné les esprits des fureurs destructives de la guerre, en les fixant sur les douces images du travail et de la paix. Or, sans l’avoir voulu, voici que, grâce à cette vivante exhibition de l’effort colonial, c’est encore la même et ingénieuse tactique que vous vous êtes trouvé opposer à la sourde offensive de la crise.

Ainsi, Messieurs, à ceux qui pouvaient douter jusqu’à l’écœureineiit, de la valeur du travail humain, votre commissaire général, compris et secondé par chacun de vous, a su montrer que certaines forces fraîches de renouvellement et de survie demeuraient intactes, et que le deuil de l’économie mondiale rencontrait sa consolation et son oubli dans le prodigieux avenir des activités d’outre-mer. 

Une occasion pour Lyautey d’un hommage aux États-Unis d’Amérique

Honoré par l‘Association catholique américaine des chevaliers de Colomb au cours d’une cérémonie organisée le 23 août 1920 à Strasbourg, Lyautey, reçu quelques semaines plus tôt à l’Académie française et sur le point de repartir au Maroc, écrit à ce sujet dans “Paroles d’action” :

« L’Association catholique américaine des chevaliers de Colomb, voulant honorer l’effort colonial de la France, spécialement pendant la guerre, tint à faire cette manifestation à Strasbourg, en m’offrant, au pied de la statue de Kléber, le bronze de la Victoire de Samothrace.   
Nous étions au lendemain des événements de Pologne, que la résolution du président Millerand et l’intervention du général Weygand venaient, en plein accord avec les États-Unis, de sauver — et, avec elle, l’Europe — du péril bolcheviste. Aussi ces événements tinrent-ils une large place dans les paroles échangées. »

Discours prononcé par Lyautey au pied de la statue de Kléber à Strasbourg en recevant le bronze :  “La Victoire de Samothrace”.

« Lorsque j’ai reçu votre appel, il m’apparut d’abord que tant de chefs illustres étaient mieux désignés que moi pour un tel honneur, que j’ai commencé par m’y dérober. Ce ne furent que vos nouvelles instances, et le désir que m’en exprima, avant-hier, à Nancy, le président du Conseil, qui déterminèrent mon acceptation. Je compris en effet qu’il ne s’agissait pas d’un hommage à ma personne, mais aux troupes que j’ai l’honneur de commander, à l’effort colonial de la France.   
Vous avez voulu apporter votre témoignage à ces « fronts extérieurs » qui, comme il convenait, sont restés dans l’ombre, tandis que la grande lutte battait son plein sur notre sol, mais pour lesquels il n’y a eu ni armistice ni paix, sur lesquels on se bat toujours sans répit.   
Vous avez voulu rendre témoignage à l’œuvre coloniale de la France parce que, mieux que personne, vous la comprenez, parce que vous vous y reconnaissez, vous, les pionniers du Nouveau Monde, qui en avez appelé, pièce à pièce, les terres à la vie, et en avez fait, au prix de quel labeur et de quelle ténacité, l’une des créations qui honorent le plus l’humanité, parce que vous êtes les réalisateurs par excellence, à tel point que lorsque nous voulons atteindre un résultat avec l’activité la plus intense, nos instructions aboutissent toujours à cette formule : « Travaillez à l’américaine. »   
Vous avez voulu que cet hommage fût rendu ici à Strasbourg, sur cette terre d’Alsace, chère à nos cœurs entre toutes, reconquise d’hier. Si elle fut, en effet, le berceau de tant de grands soldats, elle l’est aussi de tant de pionniers de notre France extérieure, de l’Algérie où ses enfants essaimèrent pour échapper à l’oppression, de notre Maroc qui s’honore d’avoir reçu tant des siens. Pourrais-je oublier qu’en 1915, en pleine guerre, quand nous risquâmes notre première manifestation économique, l’Exposition de Casablanca, le morceau d’Alsace libéré de la veille voulut y participer, et que les industries de Thann nous y présentèrent une section alsacienne accueillie avec une gratitude et des sympathies sans égales ?   
Vous avez voulu que votre manifestation se fît au pied de la statue de Kléber, ce grand soldat alsacien, saluant en lui, avant tout, le soldat de l’armée d’Égypte, celui que Bonaparte jugea le plus digne d’en prendre après lui le commandement. C’est qu’elle est symbolique entre toutes du génie de notre race, cette expédition d’Égypte qui, en si peu d’années, jeta dans ce sol des racines si profondes qu’après un siècle et quart on y retrouve, ineffaçable, l’empreinte de notre langue, de nos institutions, des sympathies que son peuple nous voua. Et, voulant m’offrir un témoignage matériel de vos sentiments, vous avez choisi la « Victoire de Samothrace ».   
La voilà. La voilà dans sa beauté, évocation du génie de la Grèce, de cette mère des civilisations dont la chrétienté, le monde moderne ont recueilli le flambeau. Un retour effroyable de barbarie allait-il l’éteindre ?
Nous en avons eu l’angoisse, mais, une fois de plus, la France a été fidèle à son rôle éternel. Et voici que la barbarie recule, parce qu’il s’est trouvé chez nous un homme pour vouloir et pour oser, et un homme pour réaliser cette volonté : Millerand, Weygand.   
Et, sans hésiter, les États-Unis d’Amérique nous ont apporté leur appui, leur adhésion décisive, parce que vous avez compris que ce n’était pas seulement la Pologne, mais la civilisation et le monde qu’il s’agissait de sauver.   
Regardez-la, cette « Victoire de Samothrace » ! Les ailes déployées, elle se porte en avant, vers l’Action féconde, et c’est bien vous encore.  
Elle se dresse sur la proue d’un navire, tels ces navires qui ont porté notre effort colonial sur tant de points du monde, ces navires qui, à travers l’Atlantique, vous ont amenés sur notre vieux sol pour la Victoire libératrice ! »


Lyautey prend la parole lors des toasts au banquet du soir en ces termes :


« Je suis vraiment bien peu digne de la grande place que vous m’avez faite aujourd’hui, mais, puisque j’ai le privilège peu enviable d’être le doyen des généraux de l’armée française, c’est à moi qu’il appartient ce soir de lever mon verre au général Pershing, l’illustre chef de vos armées, à l’armée américaine, c’est-à-dire au peuple américain tout entier, dressé en armes pour la cause du droit et de la justice, à la Légion américaine, cette grande association de tous les combattants d’hier, qui s’est assigné la tâche d’entretenir chez vous l’esprit guerrier, garantie première et essentielle de la paix que nous désirons.   
J’ai aussi à compléter ce que vient de dire M. Alapetite lorsque, en termes trop élogieux pour moi, il rappelait l’œuvre de la France dans l’Afrique du Nord. Il laissait oublier que, pendant douze ans, il en fut un des grands et glorieux artisans. Aujourd’hui encore, lorsque je me trouve en face d’une difficulté à résoudre, d’un enseignement à chercher, c’est presque toujours à ce qu’il a fait en Tunisie que je me reporte. La souplesse de sa haute intelligence, la générosité de son grand cœur sont garantes de l’œuvre qu’il réalisera dans ces chères provinces.   
Et, d’accord avec votre pensée à tous, ma pensée va vers ceux qui se battent encore, officiers et soldats polonais, officiers français. Quand, il y a seize siècles, les hordes barbares d’Attila menaçaient de ruiner à jamais le monde civilisé, c’est sur la terre de France, dans les plaines de Châlons, qu’elles vinrent se briser. Trois siècles plus tard, c’est en France encore, à Poitiers, que fut arrêtée la ruée islamique. 
Et, aujourd’hui, c’est de France qu’est venu l’acte de volonté qui sauvera la civilisation. Et l’Amérique, sans hésiter, s’est dressée à côté de nous pour signifier à la plus odieuse des barbaries qu’elle n’irait pas plus loin.   
Chez vous, comme ici, on n’a pas cru qu’il suffit de se laver les mains. Dans l’histoire, cela s’appelle Ponce-Pilate, et la notoriété de l’homme qui livra le Juste à ses meurtriers n’a rien d’enviable. Grâce au Ciel, le chef de notre Gouvernement n’a pas cru, lui, qu’il suffit de se « laver les mains », il n’a pas cru qu’il pût abandonner la noble Pologne à peine ressuscitée, et, en suivant la ligne de l’honneur et de la conscience, il a, comme il arrive le plus souvent, servi au mieux les intérêts immédiats, non seulement de la Pologne, mais du monde. Que le nom de Millerand en soit à jamais glorifié.   
Il n’y a pas de grands peuples et de petits peuples. Il y a des peuples. Qu’ils s’appellent États-Unis, France, Pologne, Belgique, ils ont des droits égaux à la vie et à l’indépendance.   
Y a-t-il rien de plus émouvant que de telles évocations, ici, à Strasbourg, en terre d’Alsace, entre Américains et Français ? »