Lyautey, artiste et protecteur des arts

Lyautey s’exprime sur ce sujet

Le 10 décembre 1926, le Maréchal Lyautey présidait une conférence de Mr. Jean Gallotti, inspecteur des Beaux-Arts au Maroc « Comment on sauve l’art d’un pays ». En conclusion, Lyautey rappela ce qui avait guidé son action au Maroc dans les domaines de l’art et de l’urbanisme.

Extrait concernant la sauvegarde et la renaissance de l’art marocain

(in « Paroles d’action » de Lyautey – 1927) 


« La première fois que j’avais vu Rabat, c’était, cinq ans avant d’y venir comme Résident Général, en 1907, en ambassade auprès du sultan Moulay Abd el-Aziz. J’étais resté sous l’impression du charme et de la poésie de cette ville incomparable. Aussi, quand j’y revins en 1912 comme Résident Général de France, me réjouissais-je, parmi les lourdes préoccupations de l’heure, de ce que mes yeux allaient retrouver dès que mon cheval en aurait franchi la porte. Or, ce que je vis, au lieu du bel horizon de mer dont rien ne brisait la vue au-delà du grand cimetière, ce furent, arrivées déjà à mi-hauteur, deux hideuses constructions. C’étaient deux casernes, dont la nécessité s’imposait, certes, mais qu’on aurait pu et dû mettre partout ailleurs qu’en pleine ville indigène, dans ce site merveilleux. Et c’étaient vraiment deux casernes classiques du type le plus affreusement réglementaire. Mon premier mot fut pour en interdire la continuation (….) ».

        Choix d’un directeur des Beaux-Arts

« Le lendemain je partais pour Fez, ayant en tête, vous le comprendrez, beaucoup d’autres préoccupations que ces casernes, quand, le surlendemain, le hasard me fit rencontrer à mon bivouac un groupe de touristes qui rentraient en France. Je les invitai à partager mon déjeuner sommaire. Or, l’un d’eux était Mr Tranchant de Lunel, ancien élève de l’École des Beaux-Arts, qui avait voyagé en Égypte, en Orient et en Extrême-Orient. Il me parla des beautés de ces pays, que je connaissais presque tous, avec autant de compétence que de goût, puis m’apprit combien le Maroc renfermait encore de trésors d’art et me dit ses appréhensions pour leur sauvegarde.

Aquarelle de Tranchant de Lunel, représentant le Maroc.
Aquarelle de Tranchant.


Partageant ses craintes, je le mis, bien entendu, au courant de ce que je venais de voir à Rabat. Il prit un crayon et, tout en reconnaissant qu’on ne pouvait pas démolir ces malheureuses casernes qu’il avait vues au passage, il me faisait un croquis montrant comment on pourrait peut-être les « habiller » à l’arabe et les rendre supportables. 
Ma réponse fut que je le priais de ne pas rentrer en France, que je le prenais dès maintenant comme directeur provisoire des Beaux-Arts et qu’il allait se mettre à l’œuvre à Rabat dès le lendemain. Et il fut pour moi, dans toute cette période de début, pour la sauvegarde des beautés artistiques du Maroc, pour l’adaptation au style du pays des bâtiments administratifs qu’il fallait cependant bien édifier, un auxiliaire inappréciable (…). »

Sauver l’artisanat d’art marocain

« À notre arrivée au Maroc, l’artisanat d’art était certes bien malade, faute d’emploi pendant ces dernières années d’anarchie et de misère. Mais il vivait encore, il s’agissait simplement de le sauver sans délai. Certes, il n’y avait pas de temps à perdre. Je prends, si vous le permettez, l’exemple de la reliure, ce bel art marocain traditionnel qui a maintenant sa place faite à Paris où vous l’admirez et l’achetez sous la forme de buvards, de bloc-notes, d’écrins. Eh bien, il ne restait plus à mon arrivée à Fez que deux relieurs, vieux, seuls détenteurs de la vieille tradition, et encore, faute de clients, l’un faisait-il des savates et l’autre je ne sais plus quoi, pour subsister. Je les fis rechercher, puis soigner comme on fait d’un objet précieux. L’un est mort depuis, mais l’autre vit encore et tous deux ont formé des élèves ; la tradition s’est maintenue intacte, s’est épanouie dans une richesse et une variété de productions qu’on apprécie chaque jour davantage. Il en fut à peu près de même pour les enlumineurs et pour toutes les autres branches de cet art hispano-mauresque si riche et si varié (….).
Il a fallu nos admirations, celles des artistes qui sont venus se grouper autour de moi, s’extasiant devant les moindres détails de leurs maisons, recueillant religieusement les fragments de mosaïques et de boiseries, devant lesquels les mercantis de passage étaient restés indifférents ou méprisants, pour leur rendre le sentiment que leur art était non seulement un art superbe qu’il fallait sauver à tout prix, mais aussi, pour ces gens très pratiques, une source indéfinie de bonnes affaires. Nous leur avons très réellement rendu le goût et la fierté de leur art traditionnel et nous les y avons intéressés (…) ». 

 Renaissance de l’art marocain

« Quand j’arrivai pour la première fois à Marrakech, on me conduisit à la Bahia, le vaste et beau palais. Je vis ces jardins abandonnés, ces bassins et ces fontaines d’où l’eau fuyait, et ces nobles ordonnances, les portiques des grands patios, les petites cours intérieures exquises où les vasques étaient vides et les jets d’eau endormis, les appartements aux riches plafonds rappelant ceux de nos plus beaux châteaux de la Loire, une ornementation évoquant l’Alhambra, et tout cela à l’abandon, fissuré, s’effritant, donnant l’impression de choses très anciennes, d’un art raffiné et disparu. 
Or, j’appris que ce palais, construit par Ba Ahmed, le tout-puissant ministre de la Minorité d’Abd el Aziz, datait de vingt-cinq ans à peine, que depuis sa mort il était abandonné. On s’apprêtait à le vendre, je ne sais à qui, pour être vraisemblablement dépecé. Par bonheur, grâce à nos collaborateurs techniques, aussi consciencieux qu’avisés, on put remettre la main sur les titres établissant qu’il appartenait à l’État 
Ce fut le cas, d’ailleurs, pour nombre d’édifices, de domaines même, dont, profitant de l’anarchie, du désordre des archives, de l’insouciance et de la complaisance intéressées des fonctionnaires d’un Maghzen croulant, les détenteurs s’apprêtaient à battre monnaie, et qui faillirent passer à des spéculateurs le plus souvent étrangers. C’est ainsi que, à Fez, les palais de Bou-Jeloud et du Batha furent à deux doigts de devenir une hôtellerie allemande. Grâce au ciel, cette recherche de titres nous donna le moyen de conjurer le désastre, mais il n’y eut pas un jour à perdre. (…). Bref, pour ce qui est de la Bahia, nous assurâmes son salut définitif en l’affectant à la résidence générale pour ses séjours à Marrakech. Je m’y installai et les réparations commencèrent (…).
C’est de cette période de début que date ce qu’il est vraiment permis d’appeler la Restauration, oserai-je dire la Renaissance de l’art marocain. D’une part, le souci de la sauvegarde la plus attentive, de l’autre, la préoccupation d’adapter cet art, sans trop de dommage, à notre vie, à nos besoins. Il y eut certes des erreurs et des fautes. Des visiteurs éclairés ne nous ont pas ménagé les critiques sur des fautes de goût. Je ne le méconnais certes pas, et j’en prends quelques-unes, que je pourrais citer, à mon compte. Mais, oserai-je dire, c’était inévitable, et je crois que dans l’ensemble on veut bien reconnaître que nous n’avons pas trop mal réussi (…) ».

La vie des arts au temps du Protectorat

Par le Colonel (er) Pierre GEOFFROY, (feu) Président de la Fondation Lyautey

Bien des aspects de la personnalité et de l’œuvre de Lyautey nous sont familiers. Ils ont été abordés et traités différemment par des personnages de son entourage, des écrivains et des historiens dans de nombreuses publications. 

Par contre, on ne connait pas assez l’Urbaniste, le Défenseur du patrimoine, l’Homme de goût, le Décorateur avec son côté “tapissier” comme le disait le Résident Général Lyautey, Artiste lui-même et Protecteur des arts et des artistes.


Aucun des biographes de Lyautey, Résident Général de France à Rabat entre 1912 et 1925, n’a mentionné, comme il le mérite, son rôle de mécène.

Avec l’installation du Protectorat au Maroc viendra le temps des officiers des Affaires indigènes (Paul Odinot) et des fonctionnaires (les enseignants, Maurice Le Glay) et avec eux d’une littérature moins pressée, d’une connaissance plus approfondie, plus ou moins appuyée par l’administration coloniale et ses institutions. Viendra également la mode de Tanger, puis de Marrakech, où choisiront de se fixer quantité d’artistes et d’écrivains étrangers.

Attaché à l’élégance de sa mise comme au raffinement de son décor quotidien, Lyautey, par inclination personnelle autant que par sens politique, accorde à la « vie des arts », au sens large, une place de choix.
Le Résident Général s’emploie à donner du Maroc l’image d’un pays neuf, « vaste laboratoire de la vie moderne », propre à régénérer une France métropolitaine prisonnière de sa routine et confinée, jusque dans sa manière d’administrer ses colonies, dans de vieilles habitudes. 

Lyautey souhaite communiquer largement ses idées en matière d’administration et, pour cela, il fait appel, comme « propagandistes », à des écrivains ou des cinéastes en vue. Dès 1914, c’est lui qui incite le fonctionnaire Joseph Vattier (Ames mogbrébines, 1925), ou la jeune Aline de Lens (« Derrière les vieux murs en ruine », 1922) à écrire sur le pays où elle réside.  C’est lui aussi qui arrache les frères Tharaud à la boue des tranchées pour les inviter à séjourner, à plusieurs reprises, dans les villes impériales et y composer leur trilogie marocaine. 

C’est encore par son intermédiaire qu’Edith Wharton (“In Morocco”, l9l9) le poète Alfred Droin ou le romancier Claude Farrère (“Les Hommes nouveaux”, 1922) entreprirent le voyage du Maroc. Comme il se doit, les oeuvres inspirées par ces séjours sont régulièrement dédiées au Résident, « en hommage d’admiration » (Tharaud), lorsqu’elles ne contiennent pas des chapitres entiers sur « L’action du général au Maroc » (Wharton) ou une préface de lui (J. Vattier, D. Abbatucci).

Il est proche des artistes, désormais de plus en plus nombreux, qui y séjournent alors, comme l’indique aujourd’hui la collection d’œuvres rassemblées dans son château de Thorey Lyautey : croquis de l’hurnoriste Henri Avelot., paysages de Tranchant de Lunel chargé de la direction des Beaux-Arts au début du protectorat ou de l’architecte Albert Laprade, kasbahs de Majorelle, peinture de Boutet de Monvel… 

Parmi eux, certains assurent la « couverture » iconographique de la présence française au Maroc. Tel est le cas de Charles-Jules Duvent (1867-1940) dont deux grandes toiles sont, depuis 1985, venues enrichir les collections du château du Maréchal Lyautey à Thorey-Lyautey, ouvert au public.


Dans différentes commandes de l’État, à la faveur de plusieurs séjours entre 1913 et I939, Duvent a commémoré des épisodes militaires, parmi lesquels « L’Entrée du général Lyautey à Marrakech « ou L’Entrée du général Lyautey à Taza ». S’il est bien éloigné de l’esprit de celui de Duvent qui, à tous points de vue, est un peu – en des proportions plus modestes – l’Horace Vernet du protectorat, 
l’œuvre marocaine de Jacques Majorelle ne peut être dissociée du contexte qui l’a vu naître. Dès l’arrivée du Nancéien à Casablanca en 1917, le Résident Général lui indique les grandes lignes de son action et l’artiste de conclure « la question des Beaux-Arts entre les mains de Tranchant de Lunel me paraît très heureusement dirigée » (lettre à Abel Cournault). L’attitude adoptée par Lyautey, à laquelle participera le peintre de l’Atlas, est d’abord guidée par la conservation d’un patrimoine en perdition. À cette politique de sauvegarde est associée la définition d’une image, celle d’un « pays nouveau récemment ouvert aux imaginations » dont Gustave Rouger, dans un numéro spécial de L’Art et les Artistes, préfacé par Lyautey, énonce les grandes lignes. Certes, le territoire « protégé » continue alors d’appartenir à l’Orient » traditionnel, comme le souligne la plume des écrivains Jérôme et Jean Tharaud, et les scènes pittoresques semblent éternelles. « L’attirail du cortège est exactement le même que celui que vit Delacroix quand il vint au Maroc, en 1832 », note un témoin lors des adieux de Lyautey au Sultan en I925. 
Mais, sous l’effet d’investigations plus poussées, le Maroc devient riche d’une personnalité singulière dont on encourage l’exploitation pour « chasser les images toutes faites qu’ont emmagasinées des années de littérature ».

Cette affirmation reflète l’esprit des initiatives contemporaines dans le domaine de l’architecture et de l’urbanisme. Si certains témoignages le montrent spontanément moins enthousiaste, Lyautey défend dans ses positions publiques les constructions modernes qui refusent « I’hispano-mauresque » et le « pseudo-marocain ». « Il y a un point, notamment, dont nous nous faisons quelque honneur. C’est de nous être attachés à l’une des meilleures caractéristiques de la construction arabe, la sobriété extérieure ». Cette orientation est confirmée par Jules Borély qui dirige le service des Beaux-Arts à partir de I925 : « L’architecture d’aujourd’hui qui s’impose par la noblesse de ses verticales et de ses horizontales semble être tout à fait chez elle en Afrique du Nord. Les maisons cubiques, d’un aspect sobre et élégant, ont aujourd’hui remplacé les édifices inspirés des motifs hispano-mauresques. » Majorelle, dans son itinéraire singulier, n’est pas insensible à la rencontre opportune du « présent français » et du « passé marocain ».

Sources 1 – catalogue de “L’appel du Maroc”, exposition présentée de novembre 1999 à janvier 2000 à l’Institut du monde arabe pour “Le temps du Maroc
2- catalogue de l’exposition Jacques Majorelle présentée de décembre 1999 à janvier 2000 au Musée des Beaux-Arts de Nancy pour “Le temps du Maroc ».

Une lettre du Général Lyautey

Publiée dans le numéro spécial de la Revue « L’ART ET LES ARTISTES »

Rabat, le 5 Juillet 1917

Mon cher Directeur1,

    C’est avec autant de sympathie que de gratitude que j’apprends que vous avez l’intention de consacrer un numéro de notre chère “Revue” au Maroc artistique.        
    Vous avez compris — et vous ferez comprendre à vos lecteurs — que l’effort d’art poursuivi au Maroc pendant la guerre même est loin d’être négligeable. Ce n’est pas le lieu de rappeler ici la contribution que le Maroc a apporté à la Métropole dans la lutte où elle combat autant pour la liberté du monde que pour la sienne propre en lui donnant ses héroïques tirailleurs, les unités les plus solides du corps d’occupation, des chefs qui comptent parmi les plus glorieux, et, aussi, les produits de son sol.        
    Mais le Maroc, à demi insoumis encore, n’a pu soutenir impunément un tel effort qu’en usant de tous les moyens pour s’assurer la fidélité et l’affection des populations soumises. S’il y a réussi, c’est en maintenant la vie économique et la prospérité matérielle du peuple marocain, et c’est aussi en s’adressant à ce qu’il y a de plus noble dans l’âme de ce peuple fier et généreux, jaloux de ses traditions, de son histoire et de son art.        
    Nos protégés ont mieux compris le génie de notre race en nous voyant nous attacher à la restauration de leurs monuments, à la sauvegarde de leurs trésors que l’incurie et l’anarchie avaient laissés ruiner et gaspiller.        
    Nous sommes arrivés à temps pour ranimer un art qui agonisait mais vivait encore et pour provoquer ici une véritable “Renaissance” 
    L’administration du Protectorat a trouvé un concours inappréciable dans une équipe d’artistes d’élite dont votre publication fait ressortir l’effort. Je suis heureux de leur témoigner ici toute ma gratitude.        
    Mais ne trouvez-vous pas qu’une constatation consolante se dégage entre toutes ? Alors que, dans cette guerre, l’œuvre de nos ennemis se caractérise par la brutalité sauvage avec laquelle ils s’acharnent non seulement contre notre race mais contre nos monuments, contre tous les trésors d’art que les siècles nous avaient légués, ici, au contraire, la France poursuit son œuvre de reconstruction et de beauté. Tout en y imposant par les armes, aux adversaires que l’Allemagne ne cesse de lui susciter, le respect de sa force, et en y maintenant intact le domaine acquis au prix de notre sang, elle y reste fidèle à sa mission civilisatrice, au culte de l’idéal, à tout ce qui a fait, au cours de sa glorieuse histoire, l’honneur de son génie. 

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(1) Note du directeur de la Revue, Armand Dayot, Inspecteur Général des Beaux-Arts.
Invité par la Direction de la Revue “l’Art et les Artistes” à lui faire l’honneur d’écrire quelques lignes d’introduction au numéro spécial sur le Maroc artistique, le Général Lyautey, dont l’énergie et la clairvoyance ont présidé avec tant d’éclat au développement si complexe de notre grande colonie africaine, a bien voulu se rendre à notre désir, très justifié, en nous adressant la belle lettre ci-dessus qu’accompagnait un billet dont nous nous permettons de détacher la phrase suivante :        
     « Bien que je me sois fait une obligation, au courant de cette guerre, de ne pas écrire une ligne hors de celles que le service m’impose. Je crois devoir faire une exception en faveur de votre numéro « Le Maroc artistique », parce que je le regarde comme un véritable geste de guerre … Oui, ce numéro est bien, en effet, un geste de guerre comme d’ailleurs tous les numéros spéciaux que l’Art et les Artistes a publiés et publiera jusqu’à la fin des hostilités. » …
Et nous remercions bien vivement le Général Lyautey qui, nous le savons, a suivi avec une sympathique attention le libre développement de l’Art et les Artistes depuis ses débuts, d’avoir su caractériser dans cette vivante expression tous nos efforts de propagande patriotique dignes, croyons-nous, de l’esprit de notre race, efforts de propagande qui n’ont jamais été et qui ne seront jamais interrompus… jusqu’au retour à la civilisation, époque où l’Art et les Artistes saura retrouver sa forme première, et son poste de combat dans la défense et le développement de notre art national, sous tous ses aspects.

Lyautey et la musique

 « Y a-t-il de l’art ? de la musique ? des âmes ? Où donc que je les entende ? Mais rien, c’est le silence du tombeau ». Ainsi s’écrie sur un ton révélateur le jeune capitaine Hubert Lyautey dans une lettre écrite en 1882. Rentrant d’Algérie où il a été affecté pendant deux ans, il sert au 4ème Régiment de Chasseurs à Cheval à Bruyères où il s’ennuie mortellement.

    On comprend ce manque d’environnement culturel. En effet, comme le note André Le Révérend dans son ouvrage “Lyautey écrivain”, Lyautey goûte profondément le chant sous toutes ses formes et apprécie autant la valeur des mélodies que la qualité des voix : chant religieux : grégorien, musulman ou khmer ; chant profane : bel canto à Naples et à Venise, lieder de Schubert, mélodies de Lassen, Massenet, Paladille, Castillon, Widor, qu’il jouit d’entendre interprétées pour lui seul à Tours en 1886 par le ténor Yvan Manuel. 

    Il connaît et apprécie infiniment l’Opéra : avant tout, Wagner (Lohengrin – Les Niebelungen), mais aussi Beethoven (Fidelio), Gounod (Faust), Rossini (Tancrède), Verdi (Aïda), Meyerbeer (Robert le Diable, Le Prophète. L’Africaine), mais fort peu Donizetti (Poliuto). 

    Il aime la musique de chambre et la musique symphonique, classique, romantique et moderne : Beethoven et Mozart surtout (sonates et symphonies), mais aussi Bach, Boccherini, Chopin; et parmi les contemporains son goût est très sûr; son journal de 1886 indique ses préférences : Chabrier (Espana, qui daté de 1883). Vincent d’lndy (« le chant de la cloche » 1886), Ch. M Widor, Castillon de Saint Victor, peu connu, mais qu’il « adore » et qui a contribué avec Saint-Saëns à restaurer en France la musique de chambre. De même, il a discerné le grand talent de Gabriel Pierné, à 19 ans.       

    Le témoignage du célèbre violoniste Jacques Thibaud est précieux : `’Quand il parlait », écrit-il de Lyautey, “ses mains longues et d’une finesse aristocratique intervenaient avec une intuition de la mesure et une notion du rythme qui me faisaient songer à la baguette d’un Chef d’orchestre (. . .). Mais quand je l’interrogeai sur ses goûts musicaux et ses préférences, il devint intarissable : « Beethoven est mon musicien préféré… Oui, sans doute, Mozart… Mais voilà, vous comprenez, Mozart, c’est toute la musique à travers un homme, tandis que Beethoven, c’est un homme à travers la musique. Et il me faut à moi le contact de l’homme, il faut que je sente l’homme au bout de son effort ou de son inspiration » (J. Thibaud. « Sur quatre cordes ». Revue des Deux Mondes 1er Avril 1942).

    Son neveu, Pierre Lyautey affirmait qu’au piano il jouait par cœur les principaux thèmes de « Lohengrin » et des « Maîtres chanteurs » de Wagner.

    Ce goût et cet amour de la musique amène cet humaniste toujours en quête d’harmonie dans son rôle de chef à écrire :

« Il y a dans l’homme, comme dans une symphonie, un thème principal. Il ne suffit pas qu’un instrument le donne une fois en passant. Mais le thème passe des violons aux bois, des bois aux cuivres. Tout l’orchestre porte le thème, et le thème requiert tout l’orchestre pour développer sa plénitude d’émotion. Ainsi, l’homme doit-il occuper telle place, jouer de tel instrument qui est le sien, cependant que toutes ses autres activités mobilisées accompagnent le jeu principal ».