La politique coloniale de Lyautey

Les origines et l’évolution de la « pensée coloniale » de Lyautey doivent tenir compte de ses diverses expériences, depuis son premier séjour en Algérie du 1er février 1878 jusqu’à la fin de ses fonctions de Commissaire Résident Général de la République Française au Maroc, en octobre 1925.

Lyautey n’employait la force qu’en dernier recours, c’est à dire lorsque la dissuasion, selon sa formule connue : « Montrer sa force pour en éviter l’emploi » et les tentatives de négociation avaient échoué.

Cependant, il précisait :

« Il est évident qu’il y a nombre de cas où l’expédition militaire s’impose, sous sa forme classique et traditionnelle : quand il faut atteindre avant tout un objectif précis, ruiner d’un coup la puissance matérielle et morale de l’adversaire, atteindre et frapper certains chefs irréductibles… et quand l’expédition militaire s’impose, c’est avec toutes les ressources de la tactique et de la science modernes, après la plus minutieuse préparation, avec la dernière vigueur, qu’elle doit être menée. C’est la meilleure manière d’économiser le temps, les hommes, l’argent. Il est essentiel qu’il n’y ait sur ce point aucun malentendu. » 

Il énonçait aussi ce principe :

On ne s’empare pas d’un “repaire” comme d’une “position”, lorsqu’il doit devenir immédiatement un centre d’attraction, un marché, e.t que l’adversaire d’aujourd’hui doit y être le collaborateur de demain.  

Et s’adressant aux sceptiques :

 Croit-on qu’il ne faille pas plus d’autorité, de sang-froid, de jugement, de fermeté d’âme, pour maintenir dans la soumission, sans tirer un coup de fusil, une population hostile et frémissante, que pour la réduire à coups de canon une fois soulevée ?

Loin des doctrines d’école, imprégné des principes mis en œuvre par Gallieni, dont il fut l’adjoint et fort de son expérience, Lyautey pouvait écrire de l’action coloniale :


« Notre action n’a rien de commun avec les guerres entre nations.

Elle est une organisation qui marche, elle est constructive, celles-ci sont destructrices ; elle crée de la vie et non des ruines. 
La pacification faite de prudence et d’adaptations doit progresser comme une tache d’huile, souple mélange de politique, d’amitié et de force, de raids militaires se muant en essor économique. »

Le Docteur Jules Colombani qui fut Directeur de la Santé Publique au Maroc de 1920 à 1934, note fort justement que :
« L’œuvre des Médecins, premiers pionniers de notre assistance mobile, s’associe étroitement à celle des Officiers des Affaires Indigènes (AI), un corps d’élite créé par le Maréchal Lyautey et vivant au contact permanent de la population.
Cette collaboration de l’officier et du médecin dans l’œuvre de pénétration pacifique a constitué un élément essentiel de la “méthode Lyautey” qui s’articule autour de quatre principes :
  1 – Ne rien détruire, tout relever, tout restaurer,  
  2 – Pratiquer vis-à-vis de la population marocaine une politique d’égards, 
  3 – La gagner à une coopération matérielle, intellectuelle et morale, 
  4 – La faire collaborer progressivement à l’action politique et administrative de l’État protecteur. »

Et le Docteur Colombani traduit en ces termes l’hommage des médecins du Maroc à Lyautey :

OUI, MONSIEUR LE MARÉCHAL,
NOUS VOUS AVONS SERVI FIDÈLEMENT
DANS CETTE COMMUNION DE CŒUR ET D’ESPRIT
DONT VOTRE GÉNIE SUT IMPRÉGNER NOTRE MISSION
DE GÉNÉROSITÉ, D’ENTRAIDE
ET D’ENTENTE HUMAINES.
MAIS Sl NOUS VOUS AVONS SUIVI SANS RÉSERVE,
C’EST QUE VOUS AVEZ SU NOUS MONTRER
QUE S’IL EST DES LIBERTÉS INDISPENSABLES,
UNE HIERARCHIE EST AUSSI NECESSAIRE À LA VIE
ET QU’IL Y A UNE JOIE À OBÉIR,
UNE GRANDEUR A SERVIR,
TOUTES LES FOIS QUE LE CHEF QUI SERT LA CAUSE FRANÇAISE
DONNE LUI-MÊME L’EXEMPLE DES VERTUS
D’UN NOBLE SERVITEUR DE LA PATRIE
ET DE L’HUMANITÉ.

Invité à présider la Session des Journées Médicales de Bruxelles de 1926, Lyautey exposa dans son discours du 26 juin 1926 sa conception du rôle du médecin colonial. Il concluait en des termes qui donnent un sens à l’action coloniale en général et à l’action du médecin en particulier :
« Certes, l’expansion coloniale a ses rudesses. Elle n’est ni sans reproches, ni sans tares, mais si quelque chose l’ennoblit et la justifie, c’est l’action du médecin comprise comme une mission et un apostolat ». 

Le Protectorat

Au Maroc, comment Lyautey a-t-il mis en œuvre, de 1912 à 1925, sa conception du protectorat qu’il définissait ainsi le 24 novembre 1919 : 

« Le Maroc est un État autonome dont la France assure la protection, mais qui reste sous la souveraineté du Sultan, avec son statut propre. Une des premières conditions de mon rôle est d’assurer l’intégrité de ce régime et le respect de ce statut. »


À consulter : Lyautey et l’institution du Protectorat français au Maroc, 1912-1925 par Daniel Rivet.