Le choix de Thorey pour remplacer Crévic
Mais, finalement c’est dans sa Lorraine natale qu’il se retirera. Laissant Crévic à son frère Raoul qui réhabilitera les communs, il fait le choix de Thorey – qui, après sa mort, deviendra Thorey-Lyautey – pour créer son nouveau port d’attache et y inscrire sa légende.
Thorey est situé à une trentaine de kilomètres au sud-sud-ouest de Nancy, capitale historique de la Lorraine, au pied de la colline de Sion, la « Colline Inspirée » chantée par Maurice Barrès. Il y subsiste aussi les ruines du château des comtes de Vaudémont, site historique jalonnant l’histoire de la Lorraine. Le village, deux cents âmes à l’époque, est au cœur d’une zone délimitée par Nancy, Toul, Domrémy, Neufchâteau, Vittel-Contrexéville, Épinal et Lunéville.
Il y possède une charmante gentilhommière fin XVIIème-début XVIIIème que sa tante Berthe Saulnier de Fabert (surnommée la tante « Bébé », sœur de sa mère), dont il était très proche, lui a légué meublée. Il va renouer avec les racines qu’il possède en ces lieux, où il venait souvent dans son enfance. Il aime cette région appelée Saintois, et le voisinage historique de Sion et de Vaudémont, berceau des Ducs de Lorraine, n’est sans doute pas étranger à son choix.
Ce choix donne raison à Wladimir d’Ormesson, l’un de ses intimes, qui a écrit : « On ne dira jamais assez que le trait saillant du Maréchal Lyautey était le sens qu’il avait de la continuité et des liaisons mystérieuses et profondes qui unissent le passé au présent ».
La maison est trop petite, vétuste et sans confort. Mais qu’importe ! Elle est imprégnée d’un peu d’atmosphère familiale et il suffit de « l’agrandir ». Avec l’aide de l’architecte Albert Laprade qui fut son collaborateur au Maroc, il fait construire à l’aplomb du logis deux ailes. L’une se prolonge par une grande demeure, aux toits de tuiles inclinés, agrémentée d’une tour et s’ouvrant sur le parc. L’autre se termine par une petite tour carrée équilibrant le tout. La tour est reliée au nouveau bâtiment par un passage avec des arcades franchissant la cour de l’ancienne demeure.
Les travaux commencés en 1920 s’achevèrent en 1924. Au dehors, il avait aménagé, tel qu’il apparaît aujourd’hui, le parc bordé par le cours du Brénon, en traçant des allées, créant des massifs fleuris, plantant de nouvelles essences, creusant une pièce d’eau et mettant en valeur les statues des Quatre Saisons de Guibal rescapées du désastre de Crévic.
Il vient s’y installer à partir de novembre 1925, à son retour du Maroc : il a 71 ans. Pendant plusieurs mois, il met un soin particulier à mettre tout en place, à mêler l’ancien et le contemporain, à décorer, bref à donner une âme à sa demeure. Et puis, c’est un dérivatif contre l’ennui qui le ronge, lui qui venait d’assumer des responsabilités équivalentes à celles d’un chef d’État. C’est aussi pour oublier les conditions humiliantes de sa relève au Maroc et de son retour. Il se passionne d’autant plus qu’il aime la décoration et la mise en scène : ne répétait-il pas depuis toujours qu’il aurait voulu être tapissier !
Il va partager son temps entre son appartement parisien de la rue Bonaparte, surtout en hiver, et Thorey où tout a été prévu pour accueillir avec faste ses invités de marque et mettre à l’aise ses amis. À partir de 1927, la responsabilité de Commissaire Général de l’Exposition Coloniale de 1931 le contraindra à de nombreux séjours à Paris.