Éloge funèbre prononcé lors des obsèques d’Inès Lyautey
Éloge funèbre prononcé par Édouard Bonnefous, ministre d’État, lors des obsèques d’Inès Lyautey, le 12 février 1953.
Le ministre d’État rend hommage à la Maréchale Lyautey
En 1953, Édouard Bonnefous prononce un éloge funèbre après le décès de la Maréchale Lyautey à l’âge de 91 ans. Elle est alors inhumée au mausolée de Rabat, aux côtés de son époux Hubert Lyautey décédé 19 ans plus tôt. Elle est la première femme élevée à la dignité de Grand Officier de la Légion d’Honneur.
« En apportant l’hommage du gouvernement de la République Française à celle qui portait ce nom illustre, je ne veux pas seulement louer la Maréchale Lyautey, mais la noble Française qui, durant une vie de près d’un siècle, ne cessa d’incarner les vertus de notre pays. Ainsi vient de prendre fin une existence qui se déroula avec une majestueuse continuité à travers les péripéties tumultueuses de cette période si tourmentée de l’histoire de la seconde moitié du XIXème siècle et de la première moitié de notre siècle. Avec le recul du temps, la Maréchale Lyautey apparaîtra comme le lien symbolique entre ces époques si différentes.
Devant les malheurs qui accablaient notre pays à la fin du Second Empire, combien peu nombreux étaient ceux qui auraient pu soupçonner que la France était pourtant à l’aube de cette période rayonnante au cours de laquelle il lui serait donné d’apporter, sur des terres lointaines, les fondements d’une civilisation dont personne ne saurait contester les bienfaits ! Le destin a voulu que la Maréchale Lyautey puisse, à de tels moments, jouer un rôle essentiel dans cette évolution. Elle allait fouler ce sol marocain pour la première fois comme infirmière, à une époque où les grandes cités qui sont aujourd’hui votre fierté auraient paru un rêve chimérique.
Elle devait par la suite, comme épouse du premier Résident Général de France, de l’animateur génial de ce Maroc moderne, poursuivre sa mission humanitaire, qui complétait si heureusement l’image de la France dans le Maroc d’alors. En agissant ainsi, sans répit ni trêve, la Maréchale Lyautey a fait plus que de fonder des œuvres pour les soldats, pour les blessés et les malheureux, elle s’est penchée sur les misères des pauvres et des faibles et, avec une délicatesse dont elle avait le secret, elle a travaillé à la plus belle des entreprises humaines : créer une âme commune à la France et au Maroc.
S’il est vrai que le dévouement, le charme et la grâce peuvent opérer des miracles, on le comprend mieux quand on a pu assister aux émouvantes cérémonies d’hier à Casablanca et de ce matin à Rabat. La ferveur émue avec laquelle, sans distinction de race, de sexe et de religion, une foule innombrable vient de donner les marques d’une peine profonde, d’abord au passage de la dépouille de la Maréchale, puis à la chapelle ardente, enfin sur cette place, prouve que cette noble Française avait su trouver l’accès de tous les cœurs. Hommage d’autant plus bouleversant qu’il était à la fois spontané et populaire.
Je rapporterai au Gouvernement ces manifestations si touchantes qui, plus que toutes les paroles, affirment l’harmonie de nos peuples. N’oublions pas aussi que la Maréchale Lyautey fut également l’une de ces Françaises courageuses qui, dès les premiers temps du Protectorat, ont accepté de quitter la Métropole et les douceurs d’une vie alors facile pour partager avec les pionniers tous les risques et les dangers d’une existence alors menacée. Elle fut et demeurera le symbole de ce qu’une femme peut réussir quand l’intrépidité s’allie à un calme courage. Est-ce à ses origines alsaciennes que la Maréchale était redevable de ses remarquables qualités ? Elle sut, en tout cas, et ce ne fut pas l’un de ses moindres mérites, garder une égale ferveur à sa terre natale, à la Lorraine chantée par Maurice Barrés dans “La Colline inspirée” au pied de laquelle était la demeure du Maréchal et à ce Maroc qui devint leur pays d’adoption, sous la terre duquel ils dormiront leur dernier sommeil.
Le gouvernement français voulut donner à la Maréchale, au soir de sa vie, le témoignage le plus éclatant de sa reconnaissance pour les immenses services qu’elle n’avait cessé de rendre et dont il ne peut être fait ici qu’une trop brève évocation. Sa famille pourrait-elle trouver un apaisement à l’immense douleur, devant laquelle je m’incline, dans le geste sans précédent fait à l’égard de la Maréchale.
En lui conférant la plaque de Grand Officier de la Légion d’Honneur, la France accordait en effet pour la première fois à une femme une telle dignité dans notre Ordre national. La Maréchale Lyautey, il est vrai, sut toujours résister au grand péril, à cet appât pernicieux, capable de faire tourner les plus fortes têtes, que la gloire apporte avec elle. On pourrait lui appliquer le bel éloge de Bossuet, dans son oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre :
« Affable à tous avec dignité, elle savait estimer les uns sans fâcher les autres et, quoique le mérite fût distingué, la faiblesse ne se sentait pas dédaignée.
« Quand quelqu’un traitait avec elle, il semblait qu’elle eût oublié son rang pour ne se soutenir que par sa raison. On ne s’apercevait presque pas qu’on parlât à une personne si élevée ; on sentait seulement au fond de son cœur qu’elle ‘ eût voulu lui rendre au centuple la grandeur dont elle se dépouillait si obligeamment.
« Avec tant de grandes et tant d’aimables qualités, qui eût pu lui refuser son admiration ? »
La Maréchale Lyautey, dans la mort comme dans la vie, sut montrer une âme sereine. Ses dernières semaines ont été, malgré son grand âge, un défi contre la mort. Avec le courage d’un soldat, sans une plainte, sans une défaillance, elle a voulu laisser l’exemple de la maîtrise de soi et de la domination de la souffrance. Justifiant le mot admirable du poète latin, mourir fut pour elle moins dur que d’attendre la mort. Le sort qui, tout au long de cette belle vie, n’avait cessé de façonner cette double destinée franco-marocaine, l’avait frappée irrémédiablement sur cette terre où la volonté du Maréchal, comme le souhait ardent de toute la population désiraient que Rabat fût sa dernière demeure.
Sous ce Mausolée, la Maréchale rappellera aux générations futures que l’accord profond du Maroc et de la France est fondé sur les liens indissolubles de la communauté d’âme et de fraternité humaine. Ainsi, celle que nous pleurons aujourd’hui continuera à servir, car si les vivants ne peuvent rien apporter aux morts, les morts au contraire instruisent les vivants. »
La raison d’État en a décidé autrement. Interprété comme un signal fort de la décolonisation, en accord avec le Souverain du Maroc, le Général de Gaulle, Président de la République, a fait ramener en France et entrer, le 10 mai 1961, sous le dôme des Invalides la dépouille du Maréchal de France Hubert Lyautey. Celle de son épouse Inès Lyautey, née Inès de Bourgoing, était inhumée au cimetière de Thorey-Lyautey le 14 mai 1961.