Discours de cérémonie annuelle 2022 (mai)

Discours de Claude Jamati, à l’occasion de la cérémonie annuelle d’hommage à Thorey-Lyautey.

Tout d’abord, je vous remercie sincèrement d’avoir répondu à mon invitation et d’être présents aujourd’hui pour cette cérémonie annuelle rendant hommage au Maréchal Lyautey, mon arrière-grand-oncle. Il s’agit d’une reprise après une interruption de 2 ans due à la situation sanitaire.

Mon propos s’articulera autour de 5 axes : l’homme et les liens France Maroc, son héritage et son patrimoine, le rôle de la Fondation Lyautey et de l’Association Nationale Maréchal Lyautey, un hommage à mon prédécesseur le Colonel Geoffroy et enfin la signification de cette commémoration.

L’homme et les liens France-Maroc 

Le Maréchal Lyautey, né à Nancy en 1854 et mort en 1934 à Thorey-Lyautey, était un militaire ayant effectué une brillante carrière en France et Outre-Mer. Mais, comme il l’a dit : 

« Celui qui n’est que militaire n’est qu’un mauvais militaire, celui qui n’est que professeur n’est qu’un mauvais professeur, celui qui n’est qu’industriel n’est qu’un mauvais industriel. L’homme complet, celui qui veut remplir sa pleine destinée et être digne de mener des hommes, être un chef en un mot, celui-là doit avoir ses lanternes ouvertes sur tout ce qui fait l’honneur de l’humanité. »

Lyautey fut un exemple, un symbole et une référence. Je citerai Vladimir d’Ormesson, un de mes illustres prédécesseurs, qui le connaissait bien : 

« En lui s’unissait des dons et des qualités qui rarement coexistent : une énergie de fer et une souplesse presque féline, la volonté et la finesse, la décision et la prudence, le goût du risque et le sens de la précaution, le bondissement du chef et l’instinct politique. Il avait des intuitions de génie. Il n’avait pas besoin de savoir : il pressentait. ». 

Il fut tour à tour et tout à la fois soldat, pacificateur, diplomate, administrateur et urbaniste, écrivain et protecteur des arts et dans tous les cas un phare pour la jeunesse, notamment comme président d’honneur de toutes les fédérations du scoutisme en France. Et ces qualités, il les a particulièrement mises en valeur, alors qu’il fut premier résident général de France au Maroc de 1912 à 1925, à la suite de la signature du traité de protectorat avec le Maroc. Là-bas, dans une conjoncture parfois difficile, il jette les bases du Maroc moderne, tout en respectant son Sultan, ses traditions, sa religion, son patrimoine culturel et architectural. Clairvoyant, il va doter le pays des infrastructures indispensables à son évolution économique et sociale avec le dessein avoué de l’amener à l’indépendance dans les meilleures conditions. Il a toujours privilégié ce qui unit plutôt que ce qui divise. Comme me l’a dit un ami marocain, ton oncle Hubert, il a fait du « développement durable », un mot à la mode. Inès Lyautey, son épouse, femme d’exception, fut un soutien solide et une des pionnières de l’action humanitaire, au Maroc et en France. De mon côté, je m’inscris dans la continuité de ces liens forts d’amitié France-Maroc, pays où j’ai travaillé et que j’aime.

Son héritage et son patrimoine

Ce qui précède montre tout l’intérêt de transmettre et de faire vivre son héritage, toujours d’actualité, tant au niveau de ses idées que des actions qu’il a conduites, en nous appuyant en particulier sur le patrimoine Lyautey  que constituent le château de Thorey-Lyautey, près de Nancy et les collections qu’il accueille. Ce lieu est à mon sens un lieu symbolique où doivent être cultivés les liens France Maroc dont j’ai parlé. 

Notre mission

Cette transmission et faire vivre la mémoire et l’œuvre du Maréchal Lyautey, ce sont lesmissions de la Fondation Lyautey et de l’Association nationale Maréchal Lyautey, que je préside. Gérée par les bénévoles engagés et motivés qui m’entourent et que je remercie chaleureusement, elle rassemble plusieurs centaines de membres.

Hommage au Colonel Geoffroy

La Fondation et l’association doivent leur existence jusqu’à ce jour à un homme, le Colonel Pierre Geoffroy. Il a fait en sorte que le Château soit acheté par la Fondation en 1980. Grâce au mot d’ordre « sauver, restaurer, animer », face aux doutes des institutions nationales et locales, mais fort du soutien populaire, le château de Thorey Lyautey, où le Maréchal a résidé et beaucoup reçu entre 1925 et 1934, est réinvesti, restauré (1985-1986), et reconstitué pièce par pièce (1987-1991). Pierre Geoffroy, secondé par son épouse Patricia, anime le domaine, y proposant une fête de moussem inoubliable (1988), et un cadre économique viable. Le château de Thorey-Lyautey devient le lieu incontournable du tourisme en Lorraine, et d’une mémoire ouverte sur l’ailleurs fraternel, le Maroc, où la Fondation organise, sur les traces de Lyautey, plusieurs périples pour ses adhérents. 

Avant de disparaître fin 2020, le Colonel m’a demandé de reprendre le flambeau, ce que j’ai accepté, mesurant à la fois la difficulté, mais aussi la valeur du défi. Arrière petit neveu du Maréchal Lyautey, j’ai passé ma vie professionnelle à l’international, notamment à Madagascar, en Asie, en Afrique, dont le Maroc, pays où j’ai résidé plusieurs années. J’ai pu mesurer au cours de toutes ces années le rayonnement et le caractère visionnaire de l’œuvre et de l’action de mon aïeul. À mon retour, j’ai exercé pendant 12 ans des fonctions de maire dans l’agglomération de Versailles, où Lyautey a résidé.

Petit à petit, une nouvelle gouvernance s’est mise en place, avec une feuille de route : « communiquer/rassembler, restaurer, financer ». Une petite équipe constitue notre bureau exécutif : Alain Vauthier, le Général Paulus, Jean-Pierre Arbey, Daniel Lecomte, Franck Galland et Philippe Grange. Notre conseil d’administration est régulièrement consulté. Une tranche de travaux se termine grâce au soutien de l’État, des collectivités locales et de la Fondation Bern. Un bulletin « Présence de Lyautey » parait trois fois par an. Les visites reprennent cet été au Château. Plusieurs partenariats ont été poursuivis ou initiés avec le Souvenir Français, la Koumia, et l’Association Nationale des Croix de Guerre et de la Valeur Militaire. D’autres suivront. Notre Fondation s’active enfin pour mobiliser plusieurs acteurs autour d’un projet culturel que nous avons initié. 

Discours de Serge Mucetti aux Invalides le 10 mai

Ancien consul général de France à Rabat et encore récemment consul général de France à Casablanca, c’est pour moi un grand honneur de me trouver aujourd’hui, en ce lieu, en ma double qualité d’administrateur de la Fondation Lyautey et de délégué général du Souvenir français de Paris.

Que pourrai-je ajouter aux propos de notre président ? si ce n’est qu’il y a 60 ans, le 22 mars 1963, la dépouille mortelle du maréchal Lyautey était remontée du caveau des gouverneurs où elle se trouvait depuis le 10 mai 1961, pour recevoir sa sépulture définitive.

Curieuse errance en vérité qui trouvait ainsi son terme en ce maussade matin de printemps, comme aujourd’hui, avec cette troisième mise au tombeau, après pas moins de dix services funèbres et deux traversées de la Méditerranée. Elle quitte le voisinage de Franchet d’Espérey, Fayolle et Maunoury pour rejoindre celui de Foch. Car, depuis le rétablissement de la dignité de maréchal de France en 1916, une loi du 27 mars 1929 permet à ses titulaires d’être inhumés aux Invalides sauf avis contraire de leur famille, ce qui est notamment le cas de Joffre.

Monsieur le Maréchal, veuillez, pardonner mon audace et la liberté avec laquelle je m’adresse à vous. Je devine votre fureur à vous trouver sous ces voutes. Car, à en croire Maurice Martin du Gard, vous vous seriez un jour écrié : « Je ne veux pas dormir à la métropole. Pour les Invalides, jamais ! Il y a trop de mauvaises rencontres. Je déteste Napoléon. J’appartiens au duc d’Enghien. Si Rabat décidément m’est refusé, jetez-moi à la mer. »

Mais, « solutionniste » dans l’âme, vous portez trop haut le sens du devoir pour vous dérober. La proximité de votre ami Foch, grand admirateur de l’Empereur qui lui dédia des mots inoubliables lors du centenaire de sa mort en 1921, a dû vous mettre du baume au cœur, à vous qui avez été contraint de vous plier au rite de l’éloge de votre prédécesseur à l’Académie française, Henri Houssaye, un des plus célèbres historiens de l’Empire de son temps, à vous qui avez partagé de longues années avec votre épouse, très attachée à la famille impériale, à vous qui avez habité de longues années au 5 rue Bonaparte.

Si vous goûtez peu les honneurs rendus à la mémoire de l’Empereur le 5 mai de chaque année, comme nous l’avons fait vendredi dernier, sans doute avez-vous été réconforté par la présence du comte et de la comtesse de Paris en ce 22 mars 1963 dont vous avez fréquenté la famille dans son exil de Larache, venus vous témoigner l’affection de la Maison de France.

Aux Invalides, vous prenez naturellement place dans le prestigieux cortège de braves, comme Turenne, Vauban, Marceau, Bertrand, Duroc et bien d’autres, qui ont forgé l’éternelle gloire des armes de la France.

Le 22 mars 1963, Saint-Cyriens et Spahis vous rendent les honneurs devant un brillant parterre composé de vos compagnons d’armes, d’officiers généraux, de vos collègues de l’Académie française, d’ambassadeurs dont ceux du Maroc, du Vietnam et de Madagascar qui assistent à cette cérémonie insolite de six légionnaires introduisant votre cercueil dans son enveloppe de bronze décorée de rameaux d’olivier et non de chêne.

Sur les côtés, figurent deux des citations déjà inscrites sur le piédestal monumental de votre statue, dans le parc du consulat général de France à Casablanca, que j’ai eue sous les yeux ces trois dernières années.

La première, en français, est extraite d’une lettre adressée à Antonin de Margerie, le 15 août 1896 : « être un de ceux auxquels les hommes croient, dans les yeux desquels des milliers d’yeux cherchent l’ordre a la voix desquels des routes s’ouvrent des pays se peuplent des villes surgissent » (En vérité lorsqu’il écrit ces lignes, Lyautey est en proie aux incertitudes et au doute. Car à quarante-deux ans, il piaffe et ronge son frein, déçu de n’avoir encore pu encore donner sa pleine mesure. Or, comme le dit Arnaud Teyssier, un des meilleurs biographes de Lyautey, isolée de son contexte, amputée de son début et de sa suite, la signification de la phrase s’inverse : elle exprime la satisfaction du proconsul bâtisseur d’empire qui, au faîte de sa puissance, n’a qu’un geste à faire pour faire jaillir le progrès).

La deuxième, en arabe, est tirée du discours prononcé « au congrès des hautes études marocaines, à Rabat, le 7 décembre 1922, : « Plus je fréquente les indigènes plus je vis dans ce pays plus je suis convaincu de la grandeur de cette nation » (C’est une déclaration d’amour au Maroc, une allégeance morale à ce pays où Lyautey a laissé son âme, son cœur, la partie la plus précieuse de lui-même et auquel son nom est attaché à jamais).

L’extrême sobriété de ce tombeau, œuvre d’Albert Laprade, architecte de renom qui a façonné le paysage urbain du Maroc en particulier celui de Casablanca, n’a rien de commun avec ceux qu’on voit dans cette Cathédrale des armées. Cette sépulture a la simplicité et l’austérité des tombes musulmanes qui, sous l’effet des saisons et du vent, se confondent peu à peu avec le sol et disparaissent.

Monsieur le Maréchal, le seul vent auquel vous pourriez être sensible sous ces voûtes construites sous Louis XIV, ce vent qui chante les louanges des héros de notre histoire, ce souffle puissant, irrésistible, venu du fond des âge, Monsieur le Maréchal, ce vent est le souffle de l’histoire.

Hamdoulillah.

Signification de cette commémoration

Les cérémonies organisées par les gouvernements français et marocain pour le transfert des cendres du Maréchal Lyautey, depuis le mausolée de Rabat, où il reposait depuis 1935, pour Paris, sont initiées le 22 avril 1961. Leur point d’orgue est l’inhumation provisoire à l’Hôtel national des Invalides dans la crypte des gouverneurs de la cathédrale Saint-Louis, avant que le tombeau du Maréchal ne trouve sa place dans la chapelle Saint-Augustin de l’église du Dôme le 10 mai 1963. La Fondation Lyautey et l’Association nationale Maréchal Lyautey ont choisi cette date pour, chaque année à Paris, rendre hommage au Maréchal et commémorer son souvenir. Rappelons que cette statue de Lyautey, sa première statue en France, fut érigée en 1984 au cœur de Paris pour le 50ᵉ anniversaire de sa mort par l’Association et la Fondation Lyautey et que la ville de Paris a financé 50% de son coût. La cérémonie d’aujourd’hui est un symbole fédérateur de toutes celles et tous ceux qui restent attachés au Maréchal, à son action exceptionnelle ainsi qu’aux liens d’amitié et de fraternité qui lient la France et le Maroc pour construire l’avenir et mieux vivre le temps présent.