Discours d’accueil des cendres du Maréchal Lyautey aux Invalides par le Général de Gaulle le 10 mai 1961

Le Général de Gaulle, Président de la République, rend hommage à la carrière du Maréchal Lyautey en tant que gouverneur du Tonkin, résident général au Maroc et ministre de la Guerre.

En 1961, le Général de Gaulle prononce un discours pour accueillir les cendres du Maréchal Lyautey aux Invalides. Le discours met en avant l’importance de sa carrière pour la France, en soulignant sa vision du développement des colonies françaises et du protectorat. Le Général de Gaulle évoque également les défis actuels auxquels la France fait face en 1961, appelant à l’unité et à la résilience pour assurer l’avenir du pays.

« C’est en terre française, à Paris, aux Invalides, que le Maréchal Lyautey va poursuivre son dernier sommeil. Pour lui, il paraît donc sembler que tout soit définitif.  Il n’en est rien cependant. Si noble que puisse être le décor offert finalement à ses cendres, l’esprit et les actes de Lyautey ne sauraient être ensevelis. Dans un monde où tout change, la flamme qui l’animait est vivante, l’exemple qu’il donna reste bon, la leçon qu’il a léguée, demeure féconde. Vingt-sept années après sa mort, années qui virent se transformer de fond en comble les conditions de son époque, voici qu’il nous apparaît comme un homme d’à présent car ce que fit ce grand romantique de la pensée et de l’action, porte l’empreinte d’une œuvre classique, c’est-à-dire valable en tous cas et en tout temps parce que ce fut une œuvre immense.     

Saint-cyrien, officier de troupe, officier d’état-major investi de missions militaires, administratives, politiques, dont l’importance allait en croissant, ministre de la Guerre au pire moment d’une grande épreuve, mais aussi homme parmi les hommes, c’est avant tout de ses semblables qu’il était sans cesse occupé. Il l’était d’abord et de la manière la plus attrayante et la plus éclatante, dans son comportement personnel. Passionné d’idées, prodigue de sentiments, ayant eu le génie du contact, il excella à séduire les esprits, à s’attacher les cœurs et à susciter les efforts.  
  
Mais s’il voulait conduire les autres — quel chef fut plus chef que lui — il brûlait de les servir. Tout ce qu’il fit, tout ce qu’il dit, témoigna de la passion qu’il avait d’élever ceux à qui il avait offert de mettre, suivant ses propres termes, une parcelle d’amour dans chacune des entreprises qu’il construisait avec eux.


Officier, c’est le rôle social offert à celui qui commande qu’il pratiquait et qu’il mettait en relief. Colonisateur, c’est, je le cite, l’action constructive et bienfaisante au profit et avec l’aide des populations intéressées, leur progrès social, moral, économique, le souci de les comprendre, le devoir de respecter leurs mœurs et leurs traditions, qui l’animaient et qu’il prescrivait.    

Politique, ce n’est pas du tout à l’abaissement d’un empire et à la domination d’un pays qu’il tendit son action de résident général de France au Maroc, mais au contraire à la consolidation d’un État souverain, au développement d’une élite et d’un peuple pour les aider à devenir capables de porter un jour les responsabilités  de l’indépendance et de la civilisation.

Voici en quels termes il exprimait cela dans un rapport au gouvernement : « Il  faut regarder bien en face, écrivait-il, la situation du monde, notamment du monde musulman et ne pas se laisser devancer par les événements. Ce n’est pas en vain qu’ont été lancées à travers le monde les formules du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et les idées d’émancipation et d’évolution dans le sens révolutionnaire. Il faut bien se garder de croire que les Marocains échappent ou échapperont longtemps à ce mouvement général ».   

Qu’y eut-il de plus clairvoyant et de plus fort que ce que le maréchal écrivait sur l’ensemble de l’Afrique du Nord en 1920, c’est-à-dire au moment même où notre victoire dans la grande guerre plaçait au plus haut notre confiance en nous-mêmes et notre prestige dans l’univers : « Il y a lieu de prévoir, disait-il, qu’en un temps plus ou moins lointain, l’Afrique du Nord, évoluée, vivant de sa vie autonome se détachera de la métropole. Il faut qu’à ce moment-là, ajoutait-il, cette séparation se fasse sans douleur et que les Africains continuent toujours de se tourner vers la France ».

Parce que son œuvre était humaine elle fut essentiellement française. L’ascension et l’affranchissement des pays sous-développés, affranchissement et ascension réalisés par la France de ces pays sous-développés qu’elle avait pris sous son aile, bien loin qu’il y vit les effets de la faiblesse ou de l’abandon, étaient pour lui, bien au contraire, des objectifs dignes des desseins et de la puissance d’un grand peuple. Mais il était réaliste en même temps que généreux et ne confondait pas du tout le respect qu’on doit avoir des autres, avec la démagogie. 

C’est ainsi que pour réaliser son grand but, la naissance du Maroc moderne, il  appliqua à la fois la fermeté du gouvernement — rien en effet ne se crée que dans  l’ordre — l’influence de la culture, car tout procède de l’esprit, le sort de l’économie  dont il fit une sorte de miracle, car il savait bien qu’il n’y a pas d’avenir ailleurs que dans le développement, enfin et surtout la force et la gloire des armes, parce  que jamais parmi des peuples immobiles ne fut frayée la route aux réformes et  aux progrès sinon par l’effort, les peines et le sang des soldats. La marque que Lyautey mit à la réussite, c’était donc l’empreinte que la France en définitive et à travers toutes les secousses, met en tout temps et partout à ce qu’elle veut accomplir. 

En vérité, le Maréchal Lyautey n’a pas fini de servir la France.